Visage, visagisme : J’ai développé une pratique artistique mêlant plusieurs techniques, dessin au stylo bille, encre, pastel, fusain, peinture ( acrylique, gouache) vidéo, pratique qui s’est peu peu orientée vers la figure, le portrait, le visage et l’Iconographie.

Ainsi entre novembre 2019 et juin 2019, j’ai effectué 18 portraits d’après modèles vivants qui ont été exposés à Mauves-sur-Loire et à la librairie des Enfants terribles à Nantes.

http://lesenfantsterribles.hautetfort.com/exposition/

Ce travail a anticipé et préparé ce qui fonde aujourd’hui mon métier de coiffeuse ; le goût du visage humain, son énigme, sa beauté, sa singularité et son inépuisable mystère. Je mesure combien mes études artistiques et mes créations m’aident à saisir les équilibres et les formes du visage et guident ma pratique en coiffure, en cherchant quelle coiffure peut sublimer un visage, l’affirmer ou au contraire l’adoucir, le révéler, l’éclairer.

**Description d’un travail artistique : Dix-huit portraits avec fond, Mauves sur Loire, Novembre 2017 à Juin 2018**

Le rendez-vous est fixé dans l’atelier,

petite pièce toute simple avec ses murs blancs, son plancher, et sa fenêtre. J’y reviendrai à la fenêtre, j’y reviens toujours, car elle est l’Ouvert. Le jour de ton portrait, j’arrive en amont, je me prépare à te recevoir. Je me mets dans une attente, tranquille et parfois nerveuse. Je te propose cette expérience du portrait dans un espace qui n’est pas mon chez moi.

Ainsi, nous serons tous deux de passage,

nous serons ici même des passants. Un espace désencombré de mon quotidien et de mes habitudes, un lieu réservé à la création. « Une chambre à soi » dirait Virginia Woolf. Un espace pour faire naître des questions, pour co-naître. Je t’y invite pour quelques heures car il nous faut bien résonner par segments pour commencer. Ni le hasard, ni la nécessité ne nous ont rassemblé en ce lieu. Seule une disponibilité qui s’est offerte comme un cadeau et aussi la curiosité qui nous pousse à vivre, à oser.

Et tu viens à ta manière,

chaque fois singulière, ta façon d’apparaître, de franchir le seuil de l’atelier. Une sorte de rituel s’est peu à peu dessiné, sans préméditation. Nous nous sommes laissés couler dans ce rituel, simple et mouvant qui consiste à accepter de poser plusieurs heures selon une posture choisie par toi. Ne jamais regarder le travail en cours. Parfois, nous arrêter pour déjeuner, s’aérer, tu es libre de tes mouvements en dehors et pendant les moment où tu poses, libre de te reposer, de suspendre ce temps, de t’endormir au besoin, te réveiller, de parler, converser, raconter, de rire, de faire le silence, de reprendre et te reformer…

Du temps passe, du matin, nous sommes passés à l’après midi.

Nous avançons de concert, nous sommes ensemble pendant ce long temps qui nous est offert.C’est important que tu le saches. Je suis entièrement là, comme toi. Nous avons choisi et nous assumons ce temps de la Présence. Le dispositif est chaque fois le même.Tu prends place, de préférence assis, quoique, à toi de voir. Tu choisis une chaise, un fauteuil, une manière d’être installé, de poser ton corps, de donner vie. Tu fais face à la fenêtre par laquelle tu pourras regarder la Loire et la lumière s’écouler, être au cœur d’une expérience du temps et du songe. Une forme de méditation, de rêverie éveillée. Je te propose ce cadre, avec ce paysage de Loire, le mouvement de l’eau, les courants, les marées, le ciel traversé d’oiseaux, les reflets, le passage des trains…

Je t’invite à te déposer,

à être attentif à ta posture, pendant que de mon côté je commence à te regarder, à me risquer vers toi, l’inconnu(e) même toi, surtout toi, que je crois bien connaître. Et toi que je ne connais que très peu… Quel regard porter vers toi ? Je n’ai aucune réponse à cette question alors je cesse de réfléchir. Je prends le risque de te regarder, de regarder ton visage avec confiance et déjà je sens que tu m’échappes…

Plus je te regarde,

plus je suis aveuglée, ma vue se brouillonne, c’est une drôle d’expérience, une sorte de dépaysement, de perte de contrôle comme si je n’étais plus que désir, élan, tension vers toi et que dans le même temps, je m’écrasais comme un moustique contre ce grand papier bleu clair que j’ai punaisé au mur et devant lequel je suis assise.. Un grand papier bleuté, plus haut que large. Tu y apparais en entier la plupart du temps. Parfois, saisi dans ta pause, de la tête aux pieds, comme un déploiement, une construction délicate réalisée sur le grand papier et parfois ramassé, concentré, ramené à l’essentiel…

Alors, tout en respirant, en soufflant, en riant, en faisant silence,

je me mets à exécuter une sorte de danse faites de gestes et de sons, je dessine au crayon, je gomme, je dessine, je gomme, il me semble que je vais percer le mur à force de m’écraser. Puis, une ébauche apparaît, se forme, une esquisse, un croquis très pâle. Cela tient debout, cela ressemble à un visage, à ton visage je ne sais pas encore, je n’y vois pas grand chose. Nous prenons un temps de pause, de recul. Je te regarde dans la distance mais pas longtemps, je dois demeurer dans cette folle confiance et ne surtout pas penser.

Une fois ce temps passé

à déjeuner, il me faut préparer les couleurs, les mélanges, disposer d’une eau claire, choisir mes palettes, mes pinceaux. Puis viennent les gestes plus délicats, les petites touches avec le pinceau et plus cela avance plus je deviens aveugle face à ton visage, mon œil s’amenuise, se rétracte pour mieux laisser sourdre la chair et la lumière de ton visage. Parfois il se ferme sans que l’on sache pourquoi. La beauté et le mystère me dépassent, me débordent, je dois me réserver, me faire toute petite pour que tu lèves que tu germes sur le papier, au milieu de ce monde indéchiffrable que m’offre ton visage. Rien n’est plus beau que ton visage. Rien n’est plus étrange. Chaque fois, je suis saisie par cette expérience bouleversante. Il me faut laisser de côté tout mon savoir, mon assurance, mon expérience, mes livres, et être dans ce grand mystère.

J’avance vers toi comme une enfant,

dans un esprit d’enfance, c’est ma façon d’y aller, à l’aventure, simplement et joyeusement. Je tâtonne la plupart de temps, je caresse ton visage avec mes pinceaux, je colore tes joues, cerne tes yeux,allume ta pupille, balaye tes cheveux, ourle tes lèvres, arpente tes vêtements, mesure tes choix, les accepte même quand ils me renvoient de la difficulté, de la pure altérité, je témoigne de tes plis, de tes mains, tes rides aussi, tes fossettes, tes bijoux choisis pour l’occasion ou par fidélité à toi même, tous ces signes que tu offres au monde sans qu’il s’en émeuve.

Peu à peu, je t’unifie,

lentement et sûrement, il ne m’est pas permis de te diviser, je cherche à te rassembler, à te lier, à te comprendre, mais je sens bien que tu m’échappes. Tu me résistes, parfois durement, il me faut alors encore plus m’abandonner et ne surtout pas céder au découragement. Repartir du cœur, du nœud de la rencontre, de ce qui se passe là entre nous. Cette chance, ce cadeau, être bien éveillée à ce moment là. Cela nous emmène parfois très tard, le temps avance autrement. Il y a aussi ce moment où tes mains m’apparaissent..

Je suis au bord de tout laisser tomber

tant tes mains me découragent. Je respire, je regagne en profondeur, en légèreté. Je cède. Et parfois la grâce me saisit et me délivre par tes mains qui viennent se poser l’une sur l’autre comme un miracle. Un peu d’inachevé dans vos mains… C’est une leçon, de celle qui font battre et grandir le cœur.

Quand je sens que la fin approche,

je te propose de te mettre face au mur et de pouvoir enfin regarder ton portrait. Au préalable, je souhaite que tu choisisses un fond pour ton portrait,nous en discutons ensemble. Ce moment du face à face, je ne saurais le décrire. Il est pour moi source d’une joie intense, d’un émerveillement, comme assister à un lever de soleil, contempler une lune pleine et ronde, je ressens une forme d’accomplissement. Je suis témoin et te remercie d’y faire face. Il est difficile de se regarder, encore plus au travers d’un autre regard et de se saisir dans la matière.

Tu es parfois déçu, surpris, étonné,

reconnaissant ou bouleversé, ému, tu ris… un drôle de mélange, une expérience difficile et contradictoire comme un reflet mouvant de soi, une mise en relief qui creuse et met en distance, à mal… ça fait émerger des histoires, des mystères, des parentés, des coïncidences, des troubles, des déceptions aussi, c’est un travail sur soi, vers soi. Une façon de se laisser reconnaître, de se dé-saisir, se déprendre. Se faire face. Plus qu’une confrontation, c’est l’expérience d’une révélation. Vient alors le moment d’évoquer le fond. Quelles couleurs, quels tons, quelles lumières ?

Nous échangeons,

je te fais part de mes intuitions quand j’en ai, j’écoute tes envies, parfois tu es sûr de toi, tu sais ce qu’il te faut et parfois tu t’en remets complètement à moi. Et nous tranchons, je fabrique la couleur choisie en quantité car le fond est vaste et permettra de reprendre le visage, la posture si c’est nécessaire.Je commence à appliquer la couleur en ta présence, une fois, tu as souhaité l’appliquer toi même, était-ce par esprit d’indépendance, pour revenir à toi… ?

C’est le moment aussi où ton visage va être mis en valeur,

en lumière, en résonance en contraste avec ce fond qui ouvre plus qu’il ne limite, un fond comme une nouvelle question, une dimension, un courant mais aussi une pulsation, une intensité et les prémices d’une disparition…Un puits sans fond…mais aussi un retour à la surface pour nous aider à sortir du travail, revenir à nous, au quotidien qui déjà nous presse et exige.

J’adore cet instant où tu apparais,

où tu émerges de ce fond à chaque fois unique et singulier. Nous coopérons de bout en bout, c’est un échange, un partage. Parfois tu ne souhaites pas de fond mais je ne te laisse pas le choix car ce sont des portraits qui peu à peu forment un ensemble, se répondent, se complètent, s’harmonisent, se rencontrent, il ne serait pas juste de les traiter différemment. J’assume donc ce choix ; ils auront tous un fond, une pâte, une aura, une vibration, un espace au delà d’eux. Je ne retouche pas ton portrait, cela aussi fait partie du rituel, c’est ma façon d’être fidèle à toi, à ta seule Présence.

Je n’invente rien en dehors de la rencontre,

ne cherche rien d’autre que ta présence. Je témoigne simplement. Puis tu t’en vas, en prenant le temps nécessaire pour quitter l’atelier, te détacher, parfois nous allons marcher dans la forêt, respirer la lumière d’une fin d’après midi. Le temps qu’il faut aussi pour que je nettoie les pinceaux, remettre la pièce en ordre et pour que je quitte moi aussi cet espace-temps.

Deux portraits réalisés cette année dont l’un est une commande.

Portraits avril-juin 2023.

Ma pratique artistique